Ce qui se prépare au Mali pourrait embraser toute la région
- Towanou Johannes
- Sep 18
- 3 min read

Kayes, première région administrative du Mali créée en 1960, occupe une place unique dans l’histoire du pays et dans l’équilibre ouest-africain.
Située à l’extrême ouest, elle est entourée du Sénégal, de la Mauritanie, de la Guinée et de Koulikoro.
Sa position géographique en fait un carrefour culturel, un centre migratoire et surtout un poumon économique.
Deuxième région contributrice au PIB malien après Bamako, Kayes représente une véritable plaque tournante des échanges régionaux.
Cette force est aujourd’hui sa plus grande vulnérabilité, car elle attire désormais l’attention du Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), la branche sahélienne d’Al-Qaïda.
Les fractures sociales héritées du passé
La région de Kayes est marquée par des tensions sociales qui trouvent leur racine dans des pratiques anciennes.
L’esclavage par ascendance, particulièrement visible dans des localités comme Oussoubidiagna, continue d’alimenter les divisions.
Les familles dites nobles, considérées comme primo-installées, s’opposent régulièrement au Collectif des Sans-Papiers, regroupant ceux qui revendiquent l’égalité et le rejet de ce système.
Ces conflits, souvent violents, se manifestent par des affrontements, des expropriations et parfois l’usage d’armes.
Dans un contexte où les réseaux sociaux et les diasporas amplifient chaque incident, ces tensions locales deviennent des brèches que les groupes terroristes savent exploiter.
Les terres et l’eau au cœur des rivalités
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs font partie des réalités récurrentes de Kayes.
La pression démographique, les besoins croissants en terres cultivables et la transhumance compliquent la cohabitation.
Chaque saison des pluies devient un moment de tensions accrues où les rivalités autour de l’accès à la terre et aux pâturages se transforment parfois en violences ouvertes.
Autrefois réglées par des mécanismes coutumiers, ces disputes sont aujourd’hui instrumentalisées par le JNIM.
Ce dernier se présente comme arbitre et protecteur auprès de communautés frustrées par l’absence d’un État capable de gérer ces tensions.
L’arme économique du JNIM
À Kayes, le JNIM déploie une stratégie différente de celle utilisée dans le nord et le centre du Mali.
Plutôt que de chercher la confrontation militaire directe, il mise sur l’asphyxie économique.
Les routes reliant le Mali au Sénégal et à la Mauritanie deviennent des cibles privilégiées, car elles constituent des corridors vitaux pour les échanges commerciaux.
Les attaques contre les transporteurs, les sabotages d’infrastructures et l’imposition de taxes illégales fragilisent le commerce transfrontalier.
Cette guerre silencieuse vise à miner la confiance, à appauvrir les communautés et à montrer que c’est le JNIM, et non l’État, qui contrôle les flux économiques.
C’est une stratégie redoutable qui ne se limite pas au Mali, car elle menace directement les économies voisines.
Une menace régionale en expansion
La déstabilisation de Kayes a des répercussions immédiates pour ses voisins.
Pour la Mauritanie, qui partage une longue frontière avec la région, une infiltration du JNIM représenterait une brèche sécuritaire majeure.
Pour le Sénégal, la menace est encore plus directe : Dakar dépend des routes commerciales qui traversent Kayes pour ses échanges avec le Mali.
Si ces axes venaient à tomber sous le contrôle des djihadistes, c’est toute une partie de son économie qui serait paralysée.
La Guinée, également voisine, observe avec inquiétude la montée de l’insécurité, consciente que l’effet domino pourrait bientôt atteindre ses propres frontières.
En réalité, Kayes est devenue le nouveau front d’un terrorisme qui cherche à élargir son champ d’action et à tester la résilience de toute l’Afrique de l’Ouest.
Bamako face à une équation impossible
Pour les autorités maliennes, la situation dans la région de Kayes représente un défi d’une ampleur particulière.
Déjà mobilisées sur plusieurs fronts contre les groupes armés dans le nord et le centre, elles doivent désormais trouver les moyens de protéger une zone stratégique sans disposer des ressources suffisantes. Une réponse strictement militaire ne suffira pas.
La survie de Kayes passe par une approche globale alliant sécurisation des corridors économiques, réconciliation sociale pour réduire les tensions liées à l’esclavage et aux terres, et un plan de développement économique pour offrir une alternative crédible aux populations locales.
Faute de quoi, le JNIM continuera de gagner du terrain en exploitant la misère et les frustrations.
Kayes, symbole d’un basculement
Ce qui se joue à Kayes dépasse largement les frontières du Mali. L’offensive du JNIM dans cette région prouve que le terrorisme sahélien n’est plus confiné aux zones désertiques et enclavées.
Il vise désormais les cœurs économiques, là où les routes, les marchés et les flux financiers se concentrent.
En fragilisant Kayes, le JNIM envoie un message clair : aucun espace, même historiquement stable, n’est à l’abri.
La bataille de Kayes devient ainsi un test décisif pour toute l’Afrique de l’Ouest, car si cette région bascule, c’est l’équilibre régional lui-même qui sera remis en cause.









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