Le général Assimi Goïta, désormais Président de la République du Mali sans avoir franchi l’épreuve des urnes, a scellé son règne par la promulgation, le 8 juillet 2025, de la nouvelle Charte de la Transition, un texte législatif qui officialise ce que beaucoup redoutaient : une présidence de fait à vie, sans aucune garantie électorale, ni limitation de mandat.
Une Charte pour verrouiller le pouvoir
Adoptée à l’unanimité le 3 juillet 2025 par les 131 membres du Conseil national de Transition (CNT), organe législatif inféodé au pouvoir militaire, cette Charte redéfinit les règles du jeu politique.
Le mandat présidentiel transitoire y est fixé à cinq ans, renouvelables sans aucune limite, et ce, tant que les conditions d'une « élection apaisée » ne sont pas réunies.
Une notion vague, interprétable à souhait par le pouvoir en place.
La promulgation de ce texte par Assimi Goïta en personne vient institutionnaliser l’absence d’échéance électorale et normaliser l’indéfinition du pouvoir, à l’abri de toute contestation juridique ou populaire.
Le général, porté au pouvoir après deux coups d'État successifs (2020 et 2021), est donc devenu Président de la République sans passer par le suffrage universel, et sans avoir à s’y soumettre dans un avenir proche.
Un complément à la Constitution… pour mieux l’enterrer
Cette Charte vient « compléter » la Constitution du 22 juillet 2023, censée encadrer le retour à un régime démocratique.
En réalité, elle en neutralise les promesses, en créant un flou juridique soigneusement entretenu.
Elle affirme la primauté de la Constitution, mais organise simultanément sa mise en veille au profit d’un texte taillé sur mesure pour prolonger la Transition indéfiniment.
Sous prétexte de « refondation de l’État », de « lutte contre l’insécurité » et de « réconciliation nationale », les principes proclamés (patriotisme, mérite, civisme…) servent de vernis moral à un système fondamentalement verrouillé, qui conserve une façade républicaine pour mieux maquiller la confiscation du pouvoir.
Le CNT et le gouvernement reconduits sans changement
Le Conseil national de Transition est reconduit dans sa forme actuelle, avec ses 147 membres censés représenter la diversité de la société malienne : forces de défense, syndicats, autorités traditionnelles, diaspora, etc.
Mais derrière cette diversité de façade, c’est un organe sans véritable autonomie, entièrement sous contrôle du pouvoir exécutif.
Le gouvernement reste dirigé par un Premier ministre désigné par Goïta, qui reste le véritable détenteur de toutes les clés du pouvoir.
La Charte autorise même les membres du gouvernement et du CNT à se porter candidats aux futures élections, lorsqu’elles auront lieu, un jour, garantissant ainsi aux acteurs du régime actuel une position privilégiée, si ce n’est exclusive.
Le Mali quitte le camp démocratique
Depuis son retrait officiel de la CEDEAO, le Mali s’est délibérément isolé des cadres de coopération régionale qui auraient pu rappeler à l’ordre la junte.
Au lieu de s’ouvrir à la critique ou à l’aide structurelle, le pays a rejoint l’Alliance des États du Sahel (AES), un triumvirat militaire avec le Burkina Faso et le Niger, tous dirigés par des régimes issus de coups d’État récents.
Derrière un discours virulent d’autodétermination et de panafricanisme, c’est un rejet systématique de toute contrainte démocratique ou cadre juridique indépendant qui est à l’œuvre.
Le Mali s’enfonce dans une logique d’autosuffisance autoritaire, assumant pleinement de ne plus rendre de comptes ni à ses citoyens, ni à ses partenaires.
Vers un pouvoir sans fin ?
En supprimant la nécessité même d’un calendrier électoral, Assimi Goïta devient le premier chef d’État malien à se garantir un mandat potentiellement illimité sans jamais avoir été élu.
La Transition, qui devait être un passage temporaire, devient un mode de gouvernance permanent, avec un président qui décide seul de la durée et des conditions de son propre pouvoir.
Certes, le texte évoque encore l’objectif d’organiser des élections crédibles, mais il suffit au pouvoir de décréter que les conditions ne sont pas réunies pour que ce scrutin soit repoussé éternellement.
La pacification complète du territoire, exigence inscrite dans la Charte, devient ainsi le prétexte parfait à l’éternisation du régime, dans un pays confronté à une insécurité chronique dans le nord et le centre.
La façade du mérite, le fond de l’autoritarisme
Ce glissement vers un pouvoir sans fin est maquillé sous des apparences technocratiques.
Entre discours sur la bonne gouvernance, réforme du système éducatif, inclusion… rien ne manque pour donner l'impression.
Mais les faits sont là : la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, l’absence totale de contre-pouvoirs, et une militarisation progressive de toutes les institutions.
La Transition au Mali, censée restaurer l’État, le refonde au contraire sur des bases autoritaires, dans une logique qui sacralise la stabilité au prix de la démocratie.
Le risque est grand que ce modèle inspire d’autres régimes en Afrique de l’Ouest, au détriment des peuples qui espéraient encore un changement de cap.
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