Nigéria: Aliko Dangote brise le silence et tranche des têtes
- Towanou Johannes
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Le secteur pétrolier nigérian traverse l’une de ses plus violentes secousses institutionnelles de ces dernières années.
Aliko Dangote, homme le plus riche d’Afrique et industriel longtemps réputé pour sa discrétion politique, a décidé de rompre le silence.
En ligne de mire : ce qu’il décrit comme un système de rente solidement installé, hostile à la transformation locale du pétrole et préjudiciable à l’économie nationale.
Cette offensive frontale a déjà provoqué un séisme inédit : la chute successive des deux principaux régulateurs du secteur pétrolier nigérian, ouvrant une crise aux répercussions économiques, politiques et sociales majeures.
Une accusation lourde : le soupçon de sabotage économique
À l’origine de la crise, une dénonciation publique sans précédent. Dangote accuse l’Autorité nigériane de régulation du pétrole en aval (NMDPRA) d’avoir favorisé l’importation massive de carburants raffinés, au détriment de la production locale.
Selon lui, alors que sa méga-raffinerie – un investissement estimé à près de 20 milliards de dollars – est en capacité de couvrir une large part de la demande nationale, les licences d’importation auraient continué à être délivrées à grande échelle, maintenant artificiellement la dépendance du pays aux importations.
Derrière ce bras de fer se dessine une opposition idéologique profonde.
D'un côté, le « Contract Oil », fondé sur l’exportation du brut et l’importation des produits finis, profitable à une minorité d’intermédiaires.
De l'autre, le « Development Oil », axé sur la transformation locale, la création de valeur nationale et la souveraineté énergétique.
Le déballage qui met le feu aux poudres
La crise prend une dimension explosive lorsque Dangote dépose une pétition officielle auprès de la Commission indépendante sur les pratiques de corruption (ICPC).
Sans livrer de verdict, il appelle à une enquête sur le train de vie du directeur général de la NMDPRA, Farouk Ahmed, estimant que certains éléments publics soulèvent de graves interrogations sur la cohérence entre les revenus officiels d’un haut fonctionnaire et certaines dépenses connues de sa famille.
Si les autorités n’ont, à ce stade, confirmé aucun chiffre précis, la demande d’enquête est bien réelle et a suffi à placer le dossier au centre du débat national sur la gouvernance et la transparence dans le secteur pétrolier.
Un séisme institutionnel confirmé
La pression devient rapidement insoutenable. À l’issue d’une brève rencontre avec le président Bola Ahmed Tinubu, Farouk Ahmed remet sa démission.
Presque simultanément, Gbenga Komolafe, patron de la Commission de régulation de l’amont pétrolier (NUPRC), quitte lui aussi ses fonctions.
Cette double démission, désormais confirmée, marque un tournant historique. Rarement un acteur privé aura provoqué un tel bouleversement au sommet de l’architecture réglementaire nigériane.
Tinubu lance un « reset » du secteur
Face à l’onde de choc, le président Tinubu réagit rapidement. Il engage un renouvellement de la direction du secteur pétrolier, en proposant au Sénat de nouveaux profils techniques pour stabiliser les institutions.
Parmi eux figure notamment Oritsemeyiwa Eyesan, économiste pétrolière chevronnée, forte de plus de trois décennies d’expérience au sein de la NNPC, symbole d’une volonté de restaurer crédibilité et expertise.
Plusieurs acteurs du secteur, dont l’Association indépendante des commerçants de pétrole (IPMAN), saluent ce qu’ils qualifient déjà de « reset stratégique », tout en appelant à une réduction durable des importations au profit du raffinage local.
La pression économique s’intensifie
En parallèle du front institutionnel, la raffinerie Dangote accentue la pression sur le marché.
La politique tarifaire adoptée par le groupe provoque un réajustement brutal des prix, mettant en difficulté les importateurs dont les cargaisons, achetées à des coûts élevés, arrivent sur un marché désormais plus compétitif.
Si les chiffres exacts varient selon les sources, l’impact est réel : les marges des importateurs fondent, tandis que certains consommateurs constatent un début de détente à la pompe, dans un pays éprouvé par l’inflation énergétique.
Les démissions ne suffisent pas
Pour le Barreau nigérian et plusieurs organisations de la société civile, ces départs ne sauraient clore le dossier.
Ils réclament que l’enquête de l’ICPC aille à son terme, afin de tirer toutes les conséquences institutionnelles de cette affaire et de restaurer la confiance dans les mécanismes de régulation.
Au-delà des individus, c’est tout un système de gouvernance qui se retrouve sur le banc des accusés.
Un tournant historique pour l’État pétrolier nigérian
Cette crise pourrait marquer un moment charnière. Si l’investisseur est le carburant et le régulateur l’huile du moteur économique, le dysfonctionnement de l’un menace l’ensemble de la machine.
Le Nigéria observe désormais avec attention si cette recomposition permettra enfin à son industrie pétrolière de rompre avec la logique de rente, au profit d’un modèle fondé sur la production locale, la transparence et la souveraineté économique.
Le choc Dangote a fissuré le système. Reste à savoir si cette fissure deviendra une brèche durable… ou si l’ancien ordre saura se reconstituer.





