C'est une publication qui était dans les tuyaux. Le rapport tant attendu de la Cour des comptes sénégalaise ne laisse place à aucun doute : la gestion des finances publiques sous l'administration de Macky Sall a été marquée par des irrégularités d'une ampleur inédite. Si le Premier ministre Ousmane Sonko avait déjà alerté l’opinion en septembre 2024 sur des manipulations de chiffres concernant la dette publique et le déficit budgétaire, ce rapport confirme et dépasse ses révélations. Les conclusions sont accablantes, jetant une lumière crue sur la réalité économique du pays.
Une dette publique bien plus élevée que déclarée
Le rapport de la Cour des comptes révèle des anomalies majeures concernant la dette publique.
Selon les chiffres officiels, la dette représentait 65,9 % du PIB, un chiffre que le gouvernement précédent avait annoncé comme étant sous contrôle.
Cependant, Ousmane Sonko avait estimé que la réalité était bien plus grave, affirmant que la dette atteignait 76,3 % du PIB.
Mais l’enquête de la Cour des comptes va encore plus loin, évaluant l’endettement à un vertigineux 99,5 % du PIB.
Cette sous-estimation flagrante met en évidence une gestion budgétaire opaque et des tentatives claires de minimiser la gravité de la situation économique du pays.
Parmi les irrégularités relevées, plusieurs emprunts excessifs ont été contractés sans justification claire, et certains ont servi à des dépenses qui ne figuraient même pas dans les prévisions budgétaires.
En outre, une partie de la dette n’a pas été correctement retracée, notamment des prêts dissimulés à travers des crédits directs et des substitutions de débiteurs.
Un emprunt obligataire Sukuk SOGEPA en 2022, avec un reliquat de 114,4 milliards de F CFA non reversé au Trésor public, a suscité de vives inquiétudes sur la gestion des fonds empruntés.
Manipulation des déficits : un maquillage des comptes publics
Les manipulations des chiffres budgétaires, déjà évoquées par Sonko, se confirment de manière frappante dans le rapport de la Cour des comptes.
En 2022, le gouvernement avait annoncé un déficit de 6,1 % du PIB, mais selon l’enquête, ce chiffre était en réalité de 6,56 %.
En 2023, la distorsion était similaire : un déficit annoncé de 4,9 %, contre 5,17 % dans la réalité.
Pour masquer la véritable ampleur du déficit, certaines recettes avaient été attribuées à des exercices antérieurs, gonflant artificiellement les finances de l’État.
Ces pratiques ont été mises en place dans le but de réduire le déficit apparent et de rassurer les partenaires financiers du pays.
Mais le rapport de la Cour des comptes révèle que ce maquillage des chiffres n’a été qu’une tentative désespérée de dissimuler l'ampleur des déficits structurels qui ont miné les finances publiques pendant plusieurs années.
Des transferts opaques et des milliards disparus dans des comptes non traçables
L’un des aspects les plus choquants du rapport concerne la gestion des fonds publics, notamment les milliards transférés sans contrôle vers des Services Non Personnalisés de l’État (SNPE).
Entre 2019 et 2023, un total de 2 562,17 milliards de F CFA, soit près de 28 % des transferts budgétaires, a été dirigé vers ces comptes, échappant à la traçabilité habituelle des finances publiques.
Les comptes CAP/Gouvernement et le Programme de Défense des Intérêts Économiques et Sécuritaires du Sénégal (PDIES) sont particulièrement critiqués.
En quatre ans, 1 343,57 milliards de F CFA ont été décaissés via le premier, avec de nombreuses dépenses non justifiées, comme un loyer de 6,48 milliards de F CFA ou des fonds destinés à Air Sénégal.
Le PDIES, quant à lui, a absorbé 303,03 milliards de F CFA, sans aucune obligation de justification, créant une opacité totale dans la gestion de ces ressources.
Des dépenses extrabudgétaires et des exonérations fiscales douteuses
Le rapport de la Cour des comptes met également en lumière des pratiques extrabudgétaires préoccupantes.
Des dépenses ont été financées directement via des comptes bancaires commerciaux, contournant le circuit budgétaire officiel.
Ces pratiques ont permis de fausser les chiffres du déficit et de rendre encore plus difficile la traçabilité des dépenses publiques.
Une autre zone d'ombre concerne les exonérations fiscales. En 2021, l'État a accordé des exonérations fiscales s'élevant à 952,7 milliards de F CFA, mais aucune donnée n'a été fournie pour les années suivantes (2022 et 2023), en totale violation des obligations de transparence imposées par l’UEMOA.
Cette absence de contrôle sur les exonérations fiscales renforce les soupçons d’une gestion opaque et d’une dérive dans la politique fiscale du pays.
Des conséquences majeures pour l'économie et la politique du pays
Les révélations contenues dans ce rapport n’ont pas seulement des implications pour la gestion des finances publiques, mais elles risquent également d'avoir des conséquences politiques et économiques majeures.
En confirmant les accusations de Sonko, ce rapport expose au grand jour une gestion budgétaire malhonnête et irresponsable qui pourrait avoir des répercussions sur la crédibilité du pays auprès des partenaires financiers internationaux.
L’opinion publique, déjà sensibilisée par les déclarations de Sonko en 2024, s’attend désormais à des réponses claires et à des mesures de redressement.
L'APR, parti de l'ex président Macky Sall, au pouvoir au moment des faits, a annoncé une conférence de presse pour ce jeudi à 18 h locale, pour répondre aux conclusions du rapport.
En attendant, les Sénégalais, ainsi que les acteurs économiques, attendent des réformes structurelles pour restaurer la confiance et remettre les finances publiques sur la voie de la transparence.
Les révélations contenues dans ce rapport de la Cour des comptes s'ajoutent ainsi à la longue liste des défis auxquels le pays doit faire face pour redresser son économie et restaurer la stabilité financière.
Une tâche complexe, mais désormais indispensable pour assurer l'avenir économique du Sénégal.
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