À l’approche de l’élection présidentielle du 25 octobre, la Côte d’Ivoire fait face à une menace inattendue mais redoutable : une guerre informationnelle transfrontalière, alimentée par des campagnes de désinformation massives venues du Burkina Faso et relayées par certains acteurs locaux. L’ombre de l’Alliance des États du Sahel (AES) plane désormais sur le scrutin ivoirien.
Une influence organisée depuis le Burkina Faso
Depuis plusieurs mois, une armée de cyberactivistes, menée notamment par le très suivi Ibrahim Maïga, multiplie vidéos et publications accusatrices.
Ses directs, qui rassemblent parfois des centaines de milliers de spectateurs, visent directement le président Alassane Ouattara et les figures de son régime.
Dans un ton souvent accusateur, il va jusqu’à déclarer que « si Ouattara ne réussit pas son coup d’État au Burkina, il organisera des attaques terroristes en Côte d’Ivoire ».
Une rhétorique qui s’inscrit dans une logique claire : dépeindre le voisin ivoirien comme une menace pour le Burkina Faso et justifier ainsi une riposte politique et symbolique.
Les mécanismes de la désinformation
La mécanique utilisée est désormais bien rodée. De faux communiqués attribués à des médias crédibles.
Il y a aussi des vidéos virales, des captures d’écran truquées et des posts coordonnés qui créent un effet boule de neige sur les réseaux sociaux.
Exemple frappant : en mai dernier, la rumeur de la mort du général Lassina Doumbia, chef d’État-major ivoirien, a circulé si largement qu’il a dû lui-même y répondre publiquement, non sans ironie : « Je n’allais pas attendre trois jours pour ressusciter ».
Cette capacité à imposer de fausses nouvelles dans l’agenda médiatique illustre la puissance de cette guerre numérique, désormais appuyée par l’intelligence artificielle et des relais multiples.
La mort fictive de Ouattara, révélatrice d’une offensive
L’épisode le plus marquant reste sans doute celui de mars 2025, lorsque plusieurs comptes ivoiriens et burkinabè ont relayé la fausse nouvelle de la mort du président Ouattara.
Adrien Vabé, activiste proche du PDCI, a ouvert le bal, suivi de Maïmouna Camara alias « La Guêpe », puis du cyberactiviste « Souley de Paris », proche du GPS de Guillaume Soro.
Le lendemain, une fausse capture d’écran attribuée à France 24, partagée par le groupe burkinabè « Bureau d’Intelligence Révolutionnaire & Patriotique », a donné un vernis de crédibilité à cette rumeur, reprise en masse par les réseaux pro-AES.
Pour l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), il s’agit clairement d’une « campagne coordonnée, savamment préparée et ayant des visées politiques ».
L’objectif : fragiliser le régime en ciblant ses symboles les plus forts.
Des convergences locales préoccupantes
L’élément nouveau et inquiétant de cette offensive réside dans ses relais ivoiriens.
Des cybermilitants liés à l’opposition, qu’il s’agisse du PDCI ou du GPS, trouvent un intérêt politique à amplifier ces narratifs.
Le cas de Souleymane Gbagbo Koné, cadre du PPA-CI de Laurent Gbagbo et désormais installé au Burkina Faso, illustre cette convergence.
Avec une audience cumulée de plusieurs centaines de milliers de personnes sur Facebook, YouTube et TikTok, il dénonce sans relâche le « régime Ouattara » qu’il accuse de livrer la Côte d’Ivoire à la France et de vouloir déstabiliser l’AES.
Même la visite, en 2024, de Justin Katinan Koné, figure du PPA-CI, à Ouagadougou avait déjà soulevé des soupçons de rapprochement politique entre le parti de Gbagbo et les autorités burkinabè.
Une bataille qui dépasse la Côte d’Ivoire
Cette offensive numérique ne se limite pas aux rumeurs politiques. D’autres thèmes polarisants ont déjà été exploités.
Il s'agit entre autres de l’homosexualité, des migrations, ou encore des fausses annonces sur l’arrivée de réfugiés libanais.
Ces campagnes montrent une stratégie globale : alimenter les fractures sociales et politiques ivoiriennes.
Ceci, pour affaiblir la cohésion nationale, à un moment où le pays s’apprête à vivre une élection déterminante.
La riposte ivoirienne s’organise
Face à cette vague d’attaques, les autorités ivoiriennes ne restent pas silencieuses.
Amadou Coulibaly, ministre de la Communication, rappelle que depuis trois ans, une campagne nationale baptisée « En ligne, tous responsables » sensibilise les citoyens à la vérification des informations.
« Nous ne pouvons pas empêcher la propagation des fausses nouvelles, mais nous pouvons réduire leur impact », affirme-t-il.
Parallèlement, l’ANSSI multiplie les enquêtes pour identifier les sources et les méthodes utilisées.
La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), de son côté, met régulièrement en garde contre la diffusion de contenus jugés diffamatoires ou incitatifs à la haine.
Une guerre de l’opinion avant le scrutin
La présidentielle ivoirienne se jouera dans les urnes, mais aussi sur les réseaux sociaux.
Dans un environnement régional marqué par la montée en puissance de l’AES et par des relations diplomatiques tendues, l’opinion publique devient une arme stratégique.
À mesure que la date du scrutin approche, une certitude s’impose : la bataille de la vérité sera aussi décisive que celle des suffrages.
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